Parallèles

Elles sont comment ces droites  ? "Parallèles papa!". Medhi Ben Barka fait faire ses devoirs à sa fille. Je viens d'aller voir "J'ai vu tuer Ben Barka". Etrange sensation en sortant. Celle d'époques qui se regardent sans oser s'affronter. Avant hier, Benoît Hamon rappelait dans une tribune les échanges entre Clémenceau et Ferry sur la colonisation et ses bienfaits supposés, il y a 120 ans.

Il y a 50 ans, la France votait des lois permettant d'appliquer un couvre feu dans les départements touchés par les troubles annonçant la décolonialisation. Il y a quelques mois les parlementaires réécrivaint l'histoire d'une colonisation heureuse. Hier, le premier ministre a fait appel à ces  lois d'exception pour faire appliquer le couvre feu et l'ordre républicain dans les banlieues. Quelle effet désastreux que d'envoyer ce signal à tous les enfants de l'immigration nord africaine : "la France officielle va prendre les mêmes batons que ceux qui ont frappé vos parents ou grands parents il y a un demi siècle".

"Leur patrie était si peu la notre, notre patrie était si peu la leur, d'où l'atroce malentendu" disait François Mitterrand au soir de sa vie au sujet de la colonisation. La France a raté sa décolonisation, qui s'est traduite par du sang, des guerres, de la violence qui rejaillit durablement sur les sociétés concernées, des deux côtés de la méditerranée. La France n'existe dans la République que si elle est un projet politique, une vision du vivre ensemble partagée par l'ensemble de la communauté nationale. Quand elle ne l'est plus, quand elle rejette une partie de sa population, elle se place elle même en situation de crise, car elle ne produit plus l'amalgame nécessaire à sa vitalité.

La crise institutionnelle ajoute à ce doute et à cette incapacité à apréhender les problèmes autrement que dans la polémique de court terme. La France qui s'égare en Algérie est celle d'un régime politique usé. Celle qui administre l'inégalité entre ses citoyens et ne fait de l'égalité qu'une valeur affichée  sur les frontons des mairies est gouvernée par des hommes matricés par des institutions archaïques, coupant la décision du peuple, où le dérisoire succède au pathétique. Les débats de la gauche, si importants qu'ils aient pu paraître il y a quelques jours seront rangés dans les mêmes classeurs de la médiocrité que les fourvoyements molletistes s'ils ne produisent pas renouveau et vision.

Certes, les revendications politiques n'émergent pas d'un mouvement qui vandalise plus qu'il ne manifeste. Cela ne doit pas nous empêcher de regarder l'histoire en face. Nous sommes face à une crise sans précédent de la politique française, car nous avons devant nous l'équivalent d'un mouvement insurrectionnel apatride, de citoyens français ne se reconnaissant plus dans la France, mais vivant au coeur du territoire de la République. Leur discours est confus, leurs actes sont choquant comme le sont souvent les actes de guérilla. Raison de plus pour comprendre où en est le pays à l'heure et comment le préserver des erreurs passées, mais sur son propre sol. Envoyer le contigent n'a pas freiné la marche de l'histoire dans les colonies.

Nous sommes à l'heure des choix : le péril ou le sursaut. Le péril, basé sur le traitement hyper-sécuritaire, populiste et démagogique des troubles menera à la partition de la France. Sa partition entre des communautés, des lois, des territoires, des ordres et des castes. Il repose sur l'aspiration à l'ordre du peuple de France. Après mai 68, il y a eu Juin 68.  La démagogie menant à la démagogie, c'est la France du FN à 25% dans les dix ans.

Le sursaut, c'est faire de toute urgence de chaque enfant de la France un français à part entière. C'est construire un modèle social qui n'existe aujourd'hui que dans l'esprit de ceux qui s'essaient à briser ses insuffisants prémices. Donner des droits réels. Gouverner avec des actions et des symboles. Combattre avec la plus grande vigueur les discriminations. Faire de l'éducation la priorité de la nation. Etre plus que jamais, ce que la gauche démocratique a toujours porté dans l'histoire politique de la France post révolutionnaire,  être des républicains de chaque instant. C'est là l'aspiration démocratique du peuple de France qui peut s'exprimer si nous portons cette voix, ce message, que la France adressait il y a quelques années "à tous les peuples de la terre".

Peut être le calme reviendra-t-il ces prochains jours.  La guerre d'Algérie ne se résume pas à Charonne. Charonne ? J'y serai demain soir.  Faire de la politique, pour essayer de transformer le monde. Merde aux parallèles.

V.

PS : Vous êtes nombreux à passer sur le blog en ce moment, mais bien peu à réagir. N'hésitez pas à me donner votre sentiment sur la situation.