DADVSI : L'assemblée "dépénalise" le P2P !

La nuit où l'Assemblée a «dépénalisé» le P2P

Ou comment les députés de la majorité et de l'opposition ont adopté un amendement sur «la licence globale» à l'opposé du projet de loi gouvernemental sur le droit d'auteur • La première base d'une légalisation des réseaux peer-to-peer •

par Christophe Alix
LIBERATION.FR : jeudi 22 décembre 2005 – 17:54

Folle nuit à l'Assemblée nationale. Les députés qui poursuivaient l'examen du projet de loi très controversé sur le droit d'auteur ont adopté, peu avant minuit et à la surprise générale, deux amendements qui constituent le premier pas vers une légalisation des échanges de fichiers «peer-to-peer» sur l'Internet. Un véritable coup de théâtre et une gifle pour le gouvernement et son ministre de la culture Renaud Donnedieu de Vabres dit «RDDV» qui voit dénaturer son projet de loi, adaptation en droit français de la directive EUCD (European Union copyright directive) européenne adoptée en 2001.

Après une journée de discussion générale sur le projet marquée par quelques belles envolées oratoires comme celle de François Bayrou sur la «police de l'Internet» ou du socialiste Didier Mathus sur les dangers d'une «staracadémisation» de la culture, l'examen du texte proprement dit et de ses multiples amendements commence autour de 22 heures en présence d'une trentaine de députés. A chaque exposé d'un amendement émanant de l'opposition, le rapporteur du projet Christian Vanneste, député UMP du Nord fait invariablement la même réponse de sa voix de canard aphone: «défavorable». Il est en général suivi de RDDV pour le gouvernement qui émet un même «défavorable».

«Fausse bonne idée», «totalement utopique», «danger absolu»
Vers 23 h 30, c'est le tour des amendements 153 et 154 déposés par un député socialiste et l'UMP Alain Suguenot. Identiques, ils portent tous deux sur la «licence globale optionnelle» que certains députés, dans la confusion appellent «licence légale» en référence à l'exception au droit d'auteur qui régit le passage de musique sur les antennes de radio. Mesure phare des partisans d'une légalisation du P2P en échange du versement d'une redevance de 4 à 7 euros par mois prélevé sur l'abonnement à l'Internet, cette mesure prend le contre-pied absolu du gouvernement sur ce sujet. Après la présentation des amendements par leurs auteurs, de nombreux orateurs s'inscrivent pour réagir sur cette question. Ses opposants parlent de «fausse bonne idée», de son caractère «totalement utopique», du «danger absolu» qu'elle représente pour l'économie de la culture, ses partisans lèvent les yeux au ciel et dénoncent la «dramatisation» du débat.

Au nom de la «liberté des internautes»
Un jeu cocasse d'alliances se noue où l'opposante UMP au Pacs Christine Boutin rejoint le défenseur du Pacs socialiste Patrick Bloche au nom de la «liberté des internautes». On se donne du «chère Christine» avec des rappels à l'ordre du président de séance dans une ambiance assez surréaliste. Pendant les interventions de représentants de tous les partis dont l'UDF Jean Dionis du Séjour qui une fois n'est plus coutume se range du côté du gouvernement pour refuser cette «licence globale optionnelle», Alain Suguenot et Christine Boutin sont très actifs dans les allées – clairsemées – pour aller discuter et convaincre leurs collègues. A la demande d'un député PS, le vote sera public, en utilisant les boîtiers électroniques plutôt que la main levée assez «pifométrique» comme le décrit un des nombreux spectateurs présents dans les tribunes. Les députés regagnent vite leur place le temps d'une ultime intervention, la présidente énonce «le vote est ouvert, le vote est fermé». En à peine plus d'une seconde, tout le monde a appuyé sur le bouton de sa console puis les résultats sont annoncés par la présidente avant d'être affichés sur un grand tableau : 59 votants, 58 votes exprimés…. 30 pour et 28 contre !

C'est la stupéfaction. Les socialistes Christian Paul et Patrick Bloche se regardent hilares sans y croire et se tapent dans la main comme deux joueurs de basket. En bas, Christian Vanneste et RDDV affichent des mines déconfites et dans le public, l'éventail des réactions va de la consternation totale chez les représentants de l'industrie du disque et du cinéma aux visages illuminés par cette «divine surprise» chez les membres de la coordination «public-artistes» à l'origine de la licence globale. A la demande de Patrick Bloche, omniprésent et selon lequel «ce vote marque la première étape d'une légalisation du P2P en France» et nécessite pour son groupe de reconsidérer la situation au vu d'une situation «totalement nouvelle», la séance est levée.

Plus que symbolique, historique
On continue de s'engueuler sur les bancs de l'UMP et les membres du cabinet de RDVD activent leurs portables pour battre le rappel des troupes dans les couloirs. Les députés son très loin en réalité d'avoir voté une légalisation du P2P en France. Mais pour les partisans de la liberté des réseaux, le moment est plus que symbolique, historique. Pour la première fois dans l'histoire d'un parlement démocratique, une assemblée a opté pour une autre voie que celle de la répression pour résoudre les problèmes posés par l'usage des réseaux P2P. Il ne s'agit que d'un amendement sur 250 dans un texte de loi qui comprend 30 articles mais il faut le lire noir sur blanc pour réaliser ce qui vient d'être voté. «De même, l'auteur ne peut interdire les reproductions effectuées sur tout support à partir d'un service de communication en ligne par une personne physique pour son usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à l'exception des copies d'un logiciel autres que la copie de sauvegarde, à condition que ces reproductions fassent l'objet d'une rémunération telle que prévue à l'article L. 311-4».

Lorsque la séance reprend, comme si de rien n'était, il ne reste apparemment nulle trace du vote qui vient d'avoir lieu. L'Assemblée expédie le vote négatif de deux ou trois amendements mineurs et RDDV, au nom du gouvernement, finit par lâcher un «favorable» à une demande communiste sur une exception au droit d'auteur, mais à condition qu'on en retire le mot «archive». Voté à main levé positif et unanime, la séance est levée. L'examen du texte reprend jeudi à 15 h 00.