Un proviseur révoqué pour son blog : la lettre d'Eolas.

Je cite texto cette lettre d'Eolas, parce qu'il n'y a pas grand chose à rajouter. Le rappel des faits est assez bien évoqué dans la lettre,  je n'y reviens pas. Vous avez sans doute d'ailleurs déjà entendu parler de Garffield, ce proviseur bloguer occasionnel, qui évoquait sur son blog des réflexions sur son rôle et son métier, de façon annonyme, et qui évoquer des choses plus personnelles, liées pour certaines à son homosexualité.  Il vient d'être révoqué par l'Education Nationale.

Je me retrouve largement dans les propos d'Eolas.

Monsieur le ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche,

Cher Gilles,

Pardonne moi de te tutoyer, mais on est sur les blogs, ça se fait très naturellement. Demande à Nicolas, il est au courant.

Je me permets de t'écrire directement via mon blog, car il est
important, pour la suite de mon propos, que tu saches ce qu'est un blog.

Un blog, ou plutôt un blogue, c'est ça. Un site internet, où le
maître des lieux écrit ce qu'il veut, sous son vrai nom ou sous un
pseudonyme, et où ses billets apparaissent directement en page
d'accueil, le plus récent en premier.

C'est super à la mode, sans doute un peu trop. Tes conseillers en
communication te diront que c'est l'avenir. C'est pas vrai. Ton
directeur de cabinet, qui ne s'y connaît pas trop en internet, te dira
que ce n'est qu'une mode. C'est pas vrai non plus. C'est à la mode,
oui, mais l'effet de mode passera ; les blogues, eux resteront.

En attendant, ils sont là. C'est une nouvelle forme d'expression
directe entre citoyens, qui jouera désormais un rôle important en
politique, comme aux Etats-Unis, où ils ont joué un rôle très important
lors des dernières présidentielles. Et ils ont une capacité de pression
médiatique qui te surprendrait.

Ton ami Renaud
l'a récemment découvert à ses dépens. Il a présenté un projet de loi,
un peu pressé par la Commission européenne, pas super motivé, puisque
c'est son prédécesseur Jean-Jacques qui en était à l'origine. Beaucoup
de blogueurs étaient contre. Ils l'ont dit, l'ont fait savoir. Le
bourdonnement (on dit "buzz" pour faire branché) a pris de l'ampleur,
les textes ont circulé, les blogueurs se sont inquiétés, ont
pétitionné. Et la discussion a vite mal tourné, le projet a été
déshonoré en séance publique au point que le ministre l'a pudiquement
retiré. Pour rattraper le coup, il a invité quelques blogueurs
sinon influents du moins fort lus à déjeûner, pour apaiser la tempête
qui s'était levée sans qu'il s'en rende compte. A tel point que
maintenant, Nicolas lui pique la vedette, et même le Président en a parlé dans ses vœux.

Je ne voudrais pas qu'il t'arrive la même chose, or c'est sur le point de te tomber dessus. Le "buzz"
est en train d'enfler, l'essaim est en colère, et il va rapidement s'en
prendre à toi car c'est toi qui a donné le coup de bâton dans la ruche,
sans vraiment t'en rendre compte.

Voilà : tu as signé il n'y a pas longtemps une décision individuelle
contre un proviseur, prononçant sa révocation. Je ne te cite pas son
nom, tu le retrouveras facilement : c'est rare, une révocation, quand
même. Et c'est grave. Tu as condamné un proviseur à mort : il n'a plus
le droit d'être proviseur, ou enseignant, ou fonctionnaire. Chômage,
sans indemnités ni ASSEDIC bien sûr, bref : le RMI. Il a 48 ans, et une
longue carrière sans histoire à son actif.

Et pourquoi tu as signé cette révocation ? Tu l'as fait sans penser
à mal, puisque tu as suivi l'avis de la commission mixte paritaire
nationale, et tu as dû être défavorablement impressionné par le fait
qu'on y parlait de pornographie et d'homosexualité, sur un site
internet, alors que la personne en question dirige un lycée. Les faits
sont déplaisants, tu as fait confiance à la commission, tu as signé, et
tu t'es occupé des dossiers importants à tes yeux, et dieu sait s'il y
en a dans ton ministère.

Seulement voilà, tu as été mal informé, et du coup, mal inspiré.

Ce proviseur, permets moi de lui laisser son titre, est un blogueur.
Pas un blogueur influent, mais un blogueur fort lu, et lu par des
blogueurs influents. Il y a des centaines, peut être des milliers de
gens qui ont lu son blogue. Et en plus, sur internet, rien ne se perd,
tout se crée. On peut encore lire des archives de ce site et constater par nous même. Il écrivait anonymement, sous le pseudonyme de Garfieldd.

Résultat, des millers de gens savent que qualifier le blogue de ce
proviseur de pornographique est une insulte à l'intelligence, et que
prononcer la sanction maximale à son encontre est, j'allais dire
injuste, mais c'est un euphémisme : c'est dégueulasse.

Sur son blogue, ce monsieur disait qu'il était proviseur. Rien ne l'interdit, et tu le sais : tu as fait droit, comme moi.

Sur son blogue, ce monsieur disait qu'il était homosexuel. Rien ne
l'interdit non plus, et dieu merci, aujourd'hui, ce n'est plus honteux
de le dire.

Sur son blogue, ce monsieur parlait de son école, sans jamais la
nommer. Tu devrais lire ces archives, d'ailleurs, si tu as le temps, tu
y apprendrais beaucoup de choses très intéressantes sur comment ça se
passe sur le terrain.

Mais jamais, tu m'entends, Gilles, jamais ce monsieur n'a mélangé
son métier et ses orientations sexuelles. JAMAIS il n'a fait le moindre
rapprochement ni exprimé le moindre propos déplacé vis à vis de ses
élèves. Je ne mens pas, tu peux vérifier. Aucun de ses propos ne tombe
sous le coup de la loi pénale, et tu sais qu'en la matière, elle est
rigoureuse.

Parce que, Gilles, toi et moi savons bien que l'homosexualité n'a
rien à voir avec des pulsions inquiétantes envers des jeunes gens, que
les homosexuels ne sont pas des pervers, pas plus que tes proviseurs
hétérosexuels ne se jettent avec concupicence sur leurs élèves du sexe
opposé.

Malheureusement, j'ai l'impression que tous les membres de la
commission mixte paritaire nationale ne sont pas au courant. Que
veux-tu, Gilles, il ne faut jamais faire totalement confiance à des
gens qui n'ont jamais quitté l'école, et qui ont besoin que tu leur
fasses une circulaire pour qu'ils sachent quoi faire quand une de leurs
collègues est menacée de mort.

Et permets moi de te parler franchement : ils t'ont mis dans la merde.

Car ce monsieur n'a jamais fait de pornographie sur son site. C'est
un fait. Il a quelquefois utilisé des mots crus, mais d'abord, aucun
qu'un de ses élèves n'emploie pas abondamment dans la cour de
récréation, et surtout, c'était en citant pour s'en moquer les requêtes
des moteurs de recherche qui avaient amené sur son site des visiteurs
impromptus. Tiens, Dangereuse Trilingue
(une blogueuse) l'explique très bien, et montre comment Libération
s'est ridiculisé une fois de plus. Et c'était une lectrice de ce blog,
elle peut parler en connaissance de cause.

Tu vois venir le problème ? Cette commission avec sa position à
l'emporte-pièce et ses schémas antédiluviens, elle va te faire passer
pour un réac homophobe. Laisse donc ce rôle à Christian,
il n'a que ça et son rapport sur la loi DADVSI pour faire parler de
lui. Car c'est TOI et toi seul qui a signé cette révocation, qui repose
sur des faits grossièrement exagérés quand ils ne sont pas
matériellement inexacts, et que tout le monde ne pourra s'empêcher de
penser que si ce proviseur avait été hétérosexuel et avait montré des
jeunes femmes en lingerie, son site aurait fait le tour du rectorat en
faisant marrer tout le monde, et c'est tout.

Mais tu as encore le temps, non seulement de rattraper le coup, mais
encore de le tourner à ton avantage. Il a déposé un recours gracieux
contre sa révocation. Rapporte là (tu es dans le délai), et, après
avoir pris connaissance de l'ensemble des éléments du dossier,
atténue-là. Je ne te demande pas de te déjuger, et de ne prendre aucune
sanction. Ce serait un camouflet pour la commission mixte paritaire, et
ce proviseur reconnaît lui même, rétrospectivement (il l'a dit à la
commission) qu'il a transgressé son obligation de réserve en parlant
ainsi de sa vie privée. Mais fais un communiqué (ton conseiller en
communication, celui qui te dit que les blogues c'est l'avenir, te fera
ça très bien) soulignant que tu maintiens le principe de la sanction,
car tu es un ministre sévère, tu la diminues, car tu es un ministre
juste, du fait des éléments qu'un mouvement civique sur l'internet ont
mis en valeur, car tu es un ministre moderne et à l'écoute du peuple.

Renaud sera vert de jalousie de voir comment tu t'es mis la
blogosphère dans la poche, et tu auras une vraie sympathie sur
internet, et ça, c'est précieux.

Ne te préoccupe pas des réactions au sein des caciques de ton
administration. Ils sont de gauche, ils ne voteront jamais pour toi, et
de toutes façons, depuis ton idée de la bi-valence, ils te détestent.

Le temps presse : la nouvelle est reprise dans les médias : midi libre, l'AFP, Libération (qui dit disait des bêtises, ils ont rectifié l'article sur l'édition en ligne : il n'y a pas de honte à rectifier ses erreurs), le Figaro. Les blogues en parlent aussi beaucoup, il y a une liste chez Embruns, chez Pointblog, qui sont des caisses de résonnance sur le net.

Par contre, si tu t'obstinais à maintenir ta décision malgré tout ce
que nous, les blogueurs, aurions pu te dire, je crains fort que tu ne
te retrouves face à un incendie d'opinion que tu auras du mal à
maîtriser, et qui rendrait toute marche arrière humiliante
politiquement. Ne laisse pas le temps à l'opposition de se saisir de
l'affaire, ne laisse pas le temps aux syndicats de rameuter l'opinion,
agis vite et évite l'incendie.

Car s'il devait se déclarer, je ne suis pas sûr que je ne serais pas parmi ceux qui souffleraient sur les flammes.

Très respectueusement,

Maître Eolas.

P.S. : Je ne suis pas l'avocat de Garfieldd, que je ne connais pas
personnellement, et je n'ai pas écrit ce billet à sa demande ou à la
requête de qui que ce soit.

Une pétition est disponible ici