Radical féministe ?

Il est toujours risqué de se glisser dans une conversation à laquelle on n’a pas participé dès le départ. Je sens que j’ai quelques coups à prendre dans l’affaire, mais je vais me risquer. Je n’aime pas quand des débats sérieux se réduisent à des postures et où le principal souci d’un des contradicteurs n’est que de disqualifier l’autre. Et quand les esprits s’échauffent à un tel point, les enjeux sont souvent tordus dans tous les sens pour permettre les effets de manche.

En effet, l’histoire des luttes féministes est très méconnue et trop souvent caricaturée. Beaucoup de ceux qui s’acharnent sur un objet politique bien mal défini dans leurs propos et que serait le « féminisme radical ». Je les invite à étudier un peu l’histoires des idées féministes et à faire la différence entre les trois familles de pensées qui bâtirent l’histoire du mouvement en France. Cela éviterait les faux procès.

Car, plusieurs familles, à l’origine du MLF ont plusieurs messages différents.

Les marxistes de la tendance « Lutte des classes» cherchent à articuler l’engagement féministe avec un discours compatible avec les engagements politiques marxistes. Mais le bât blesse parfois. Le slogan « Prolétaires de tout les pays, qui lave vos chaussettes ? » rappelle avec ironie que les mécanismes d’oppressions n’existent pas que dans la société capitaliste et que les mécanismes d’oppression fonctionnent aussi dans les organisations se battant pour le grand soir.  Et la tendance « lutte des classes » omet aussi de dire que le système capitaliste a constitué un mécanisme d’émancipation par le travail pour beaucoup de femmes, sortant de l’unique condition domestique. Et donc considérer que la LCR, qui dit que « l’oppression des femmes est un des fondements du système capitaliste », a un train d’avance est peut être vrai dans l’affichage des objectifs politiques, mais pas forcément dans la résolution des contradictions.

Une tendance « centrale » dans le mouvement regroupait des féministes radicales et des militantes que l’on pourrait qualifier de « réformistes » comme Simone de Beauvoir. C’est le travail intellectuel des radicales qui fit émerger le débat et le thème du genre, dans la recherche d’une déconstruction des rôles et des identités dans une société patriarcale. Certains sous-courants poussèrent à d’autres thèses plus extrêmes (lesbianisme comme objectif politique, destruction du système de production et de reproduction patriarcal, prise du pouvoir par les femmes). Mais l’alliance avec les réformistes montre l’apport idéologique essentiel et pérenne de cette synthèse qui devrait être aujourd’hui un socle pour avancer: le fait de considérer la question du genre permet de sortir des carricatures opresseurs/opressé. En effet, le système patriarcal n’est pas seulement opresseur pour la femme, mais aussi contraignant pour l’homme qui est assigné à des rôles sociaux qu’il ne choisit pas. Je vous invite d’ailleurs à la lecture des excellents ouvrages de Daniel Welzer Lang à ce sujet.

La radicalité, si elle débouche sur des analyses et des pratiques militantes politiquement contestables, a consitué un terrain d’exploration de concepts qui furent nécessaires pour construire les discours, frapper les esprits et permettre les réalisations plus « réformistes ».  La non-mixité a ainsi été critiquée avec virulence, sans doute très justement. Mais toutes les histoires de mouvements de libération montrent qu’il existe un temps de prise de conscience »en vase clos » avant une ouverture plus large.

C’est donc ce courant, par son exploration, par ses excès, ses erreurs, par son idéologie a construit les bases d’un universalisme féministe. Et progressiste, puisque la déconstuction de l’identité de genre fut aussi une base théorique forte pour le développement des mouvements homosexuels. Les militants de l’émancipation que sont les socialistes se doivent, à mon sens, de revendiquer cet héritage. L’idéal et le réel, la réforme au service des espérances révolutionnaires en fait…

Le courant essentialiste, Psych&Po, pour « Psychanalyse et Politique » a réussit par les manoeuvres d’Antoinette Fouque à s’approprier le MLF à la fin des années 1970 et dans les années 80. Il explore la « différence » homme-femmes dans une analyse concurrente à Freud, sur le terrin psychanalitque. Vous comprendrez que je ne porte pas cet héritage-ci dans mon coeur. Si je crois qu’il existe une spécificité aux opressions issues des antagonismes de genre, je ne partage pas l’opinion selon laquelle : « Au fondement de cette haine envers les femmes, qui ravage l’espèce humaine, il y a l’envie primordiale, archaïque, universelle et radicalement déniée, de leur capacité procréatrice, de cette part spécifique qui, avec la gestation, leur échoît dans la production de l’espèce humaine. Cette envie, qui est la misogynie même, est la base de tout système d’exclusion de l’autre et la nature de tous les racismes, de toutes les exploitations ».

Et c’est pour ça que les procès en « hystériques de radicales » contre « salauds de misogynes » où la position à l’égard de la candidature de Ségolène Royal constitue une pierre angulaire des invectives me gonflent. Parce que des deux côtés suintent des implicites déplaisant. Parce que chacun s’enferre dans une caricature de lui-même et qu’on ne parle pas des vrais enjeux. Violences, inégalités salariales, répartitions des tâches (oui le privé est politique !), socialisation des petites filles et des petits garçons dans des moules, etc…Et des stratégies militantes. Parce que si on passait autant de temps à réfléchir sur les modes d’actions pour faire reculer inégalités et assignations de genre qu’à s’écharper, on aurait tous et toutes à y gagner.




8 pensées sur «Radical féministe ?»

  1. Comme tu le sais, je ne suis plus au PS ni au MJS, mais je trouve que ces guerres par blog interposés risquent de faire bien du mal à votre parti. Mon conseil : oublier et ignorer les injurieux et les fanatiques. Impossible de discuter avec ces personnes.

    Sinon merci pour cette note, j’y ai appris des choses !
    @+
    Luc

  2. Merci de cette prise de position valerio, pédago, juste et cohérente!
    Je n’aurais pas dit mieux!
    amitiés
    antoine

  3. “Au fondement de cette haine envers les femmes, qui ravage l’espèce humaine, il y a l’envie primordiale, archaïque, universelle et radicalement déniée, de leur capacité procréatrice, de cette part spécifique qui, avec la gestation, leur échoît dans la production de l’espèce humaine. Cette envie, qui est la misogynie même, est la base de tout système d’exclusion de l’autre et la nature de tous les racismes, de toutes les exploitations”.

    C’est exactement la conclusion à laquelle en arrive Françoise Héritier.
    http://1libertaire.free.fr/FHeritier06.html
    Elève de Claude Levy-Strauss et professeure au Collège de France, elle a plus de légitimité que vous pour s’exprimer sur le sujet, je pense.

    C’est avec un immense plaisir que je vous rappelle ( il est probablement plus exact de vous dire que je vous apprend) que le 23 novembre dernier, 150 000 femmes sont descendues dans la rue à Rome, (à 2 pas du Vatican), après que les collectifs féministes italiens aient décidé le « séparatisme » à la majorité absolue, pour contrer le clérical-fascisme. Chose qui ne se voyait plus depuis les années 70. L’information a été très peu relayée par les médias ( y compris « de gauche », sur le net, comme Rezo « et les copains » ou autres).

    Je pense qu’il n’est pas inopportun que vous en preniez note, et que vous vous en souveniez.

    Avec mes salutations distinguées.

  4. Bonjour Lory,

    Je prends bonne note des informations que vous me donnez sur la situation italienne, mais le résumé que vous en faites ne permet pas de mesurer toutes les implications et les circonstances de l’événement. Avez vous des liens à ce sujet (dans la presse italienne en particulier) ?

    Puis je continuer à parler de certains sujets sans être universitaire ?

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