Chroniques du Faubourg


Déménagement effectué. Oh, bien sûr il reste quelques cartons à déballer et beaucoup de choses à ranger. Merci au passage à tous les volontaires qui se sont manifestés dimanche. J’ai le bonheur de vivre désormais au Faubourg Saint Antoine. Ce nom ne dit peut être pas grand chose au non-parisiens où à celles et ceux qui ne s’intéressent pas plus que ça à leur ville. Mais que voulez-vous, je suis un indécrottable amoureux de cette ville, qui « appartient à l’humanité » disait Hugo. Car je trouve qu’elle crée à chaque instant de l’Histoire, qu’une forme d’Universel, d’absolu, fait partie de son quotidien et qu’on ne sait pas très bien démêler la petite de la grande histoire. C’est ce qui fait que j’aime beaucoup d’autres villes par ailleurs, mes derniers billets sur Venise l’ont bien montré.

Et le faubourg c’est un concentré de tout ceci. Situé pendant des siècles hors de Paris, (faubourg= »hors le bourg »), les hasards des privilèges royaux accordés au quartier de l’Abbay Saint Antoine des Champs, sa proximité avec la Seine en fit le quartier de l’artisannat, du meuble et de l’ébénisterie. Premier quartier à pouvoir déroger au système des corporations au XVème siècle, il connu un développement important et participa activement à la vitalité économique de la capitale. Jamais sans heurts puisque les émeutes et les conflits avec la royauté commencèrent dès 1652 lorsque  Condé et Anne Marie Louise d’Orléans de Montpensier (dite la Grande Mademoiselle) firent tirer les canons sur le Roi de France, observant les escarmouches provoqués par les Frondeurs des hauteurs de Charonne depuis le Faubourg. C’est au Faubourg que fut fondé la manufacture de verre, ancêtre de Saint Gobain (dans l’Aisne) pour réduire la dépendance de la France à l’égard des verriers vénitiens (ah, Murano…) à la fin du XVIIème siècle quelques années seulement avant que Napoléon ne fissent tomber la République de Venise et ses dix siècles d’indépendance.

La population, nombreuse, industrieuse, est particulièrement frondeuse. Les milliers d’ébénistes, d’ouvriers, de menuisiers groupés dans un entrelas de petites rues et de cours labyrintiques sont confrontés à la fois à une existence difficile dans des métiers éprouvants, au service d’une clientèle aisée, privilégiée, parfois arrogante, qui vient remplir ses salons et ses hôtels des trésors fabriqués par les petites mains du Faubourg. Deux siècles d’émeutes, de particpations aux différentes insurrections et épisodes de barricades qui marquèrent l’Histoire de la France et de Paris montrèrent à quel point ce quartier fit l’histoire sociale du pays. C’est en grande partie la population du Faubourg qui fit choir cette Bastille édifiée sous Charles V et qui séparait le faubourg de Paris. Napoléon disait ainsi qu’il préferait « une épidémie en province, qu’un rhûme à Paris ». La Commune de Paris fut la dernière grande insurection qui traversa le faubourg, dont les barricades furent réprimées dans le sang par les Versaillais.

Bon, vous l’avez compris, j’aime ce quartier. Oh, bien sûr il a changé et ces derniers temps on y voit beaucoup de grandes enseignes de meubles remplacer les boutiques de mobilier. Les boites de comm’ s’installent un peu partout et je ne suis pas le mieux placé pour dire le contraire. Le design branché remplace l’artisannat patient. Le quartier est moins populaire qu’il ne le fut. Mais, comme j’ai pu le faire hier (hello Thomas et Nathalie), si vous poussez les portes et explorez les cours, vous retrouverez en quelques mètres une ambiance sans pareil. Calme ou agitée. Cours pavées ou fleuries. Bois ou acier. Parfois, vous retrouverez l’odeur de la colle et de la sciure et croiserez quelques ouvriers portant des meubles anciens. En reculant de quelques rues par rapport à l’agitation du Faubourg, les petits zincs sans prétention, les cours où les enfants jouent, les petits espaces verts méconnus seront légion.

Plus de bobos que d’émeutes à l’horizon. Si nous ne sommes pas nombreux comme le chantait Renaud à nous souvenir de Charonne, si peu connaissent la rue Jules Vallès et ont lu ses souvenirs d’insurrection, si vous n’avez pas vu les barricades refleurir au Faubourg à la Libération de Paris ou la fête de 1981 à la Bastille, rappellez-vous de vos défilés Répu-Bastille-Nation enflammés passant dans le goulet étroit du Faubourg. Remémorez vous l’église Saint-Bernard et les sans-papiers. Venez humer les parfums du Marché d’Alligre qui montrent que Paris n’a pas peur de voir se rencontrer l’humanité entière.

N’oubliez pas que si aujourd’hui toute la population du Faubourg s’occupe, fait ses petites affaires comme elle le fait depuis des siècles, elle s’enflammera à nouveau lorsque l’Histoire l’appellera dans une de ces contractions qui font venir les moments où la majorité sociale cherche à devenir majorité politique. Ces moments où la France porte en elle de l’universalité, où elle cherche les chemins du Progrès. Quand Hugo, encore lui disait que « Paris est le lieu sur la terre où l’on sent le mieux vibrer l’immense voilure du progrès », il devait penser au Faubourg.

Photo eric Firley sur Flickr




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