Victoire de Michelle Bachelet au Chili

t_bachelet3Les premières dépêches annoncant la victoire de la socialiste Chilienne, avec 53% des voix.  C'est une belle victoire de la Concertacion Democratica, dans un pays souvent considéré comme machiste et qui hébergait il n'y a pas si longtemps une dictature sanguinaire, dont les principaux auteurs n'ont toujours pas été condamnés, qu'il vivent à Santiago ou à Washington.

Une pensée aussi pour Salvador Allende, qui déclarait sa confiance dans l'avenir à Radio Magallanes, une des seuls radios chilienne dont l'émetteur n'avait pas été coupé, alors que les chars de Pinochet tiraient sur la Moneda, le palais présidentiel : "Travailleurs : j'ai confiance dans le Chili et dans son destin.
D'autres hommes espèrent plutôt le moment gris et amer où la trahison
s'imposerait. Allez de l'avant sachant que bientôt s'ouvriront de
grandes avenues où passera l'homme libre pour construire une société
meilleure.
"

L'Amérique du Sud devient un espace où la gauche retrouve ses couleurs en mobilisant l'électorat populaire. Il y a sans doute des leçons à en tirer pour nous à seize mois à peine des échéances présidentielles en France.

Un petit salut amical au camarade Lyonnais Nicolas Souveton, franco-chilien dont j'imagine la joie en ce moment.

Le discours complet, et tellement émouvant, de Salvador Allende, le 11 septembre 1973 :

Je paierai de ma vie la défense des principes qui
sont chers à cette patrie. La honte tombera sur ceux qui ont trahi
leurs convictions, manqué à leur propre parole et se sont tournés vers
la doctrine des forces armées. Le Peuple doit être vigilant, il ne doit
pas se laisser provoquer, ni massacrer, mais il doit défendre ses
acquis. Il doit défendre le droit de construire avec son propre travail
une vie digne et meilleure. À propos de ceux qui ont soi-disant «
autoproclamé » la démocratie, ils ont incité la révolte, et ont d'une
façon insensée et douteuse mené le Chili dans le gouffre. Dans
l'intérêt suprême du Peuple, au nom de la patrie, je vous exhorte à
garder l'espoir. L'Histoire ne s'arrête pas, ni avec la répression, ni
avec le crime. C'est une étape à franchir, un moment difficile. Il est
possible qu'ils nous écrasent, mais l'avenir appartiendra au Peuple,
aux travailleurs. L'humanité avance vers la conquête d'une vie
meilleure.

Compatriotes, il est possible de faire taire les
radios, et je prendrai congés de vous. En ce moment des avions sont en
train de passer, ils pourraient nous bombarder. Mais sachez que nous
sommes là pour montrer que dans ce pays, il y a des hommes qui
remplissent leurs fonctions jusqu'au bout. Moi, je le ferai, mandaté
par le Peuple et en tant que président conscient de la dignité de ce
dont je suis chargé.

C'est certainement la dernière occasion que j'ai
de vous parler. Les forces armées aériennes ont bombardé les antennes
de radio. Mes paroles ne sont pas amères mais déçues. Elles sont la
punition morale pour ceux qui ont trahi le serment qu'ils ont prêté.
Soldat du Chili, Commandant en chef, associé de l'Amiral Merino, et du
général Mendosa, qui hier avait manifesté sa solidarité et sa loyauté
au gouvernement, et aujourd'hui s'est nommé Commandant Général des
armées. Face à ces évènements, je peux dire aux travailleurs que je ne
renoncerai pas. Dans cette étape historique, je paierai par ma vie ma
loyauté au Peuple. Je vous dis que j'ai la certitude que la graine que
l'on a confiée au Peuple chilien ne pourra pas être détruite
définitivement. Ils ont la force, ils pourront nous asservir, ils mais
n'éviteront pas les procès sociaux, ni avec le crime, ni avec la force.


L'Histoire est à nous, c'est le Peuple qui la fait.

Travailleurs de ma patrie, je veux vous remercier
pour la loyauté dont vous avez toujours fait preuve, de la confiance
que vous avez accordé à un homme qui fut le seul interprète du grand
désir de justice, qui jure avoir respecté la constitution et la loi. En
ce moment crucial, la dernière chose que je voudrais vous dire, c'est
que la leçon sera retenue.

Le capital étranger, l'impérialisme, ont créé le
climat qui a cassé les traditions : celles que montrent Scheider et
qu'aurait réaffirmé le commandant Araya. C'est de chez lui, avec l'aide
étrangère, que celui-ci espérera reconquérir le pouvoir afin de
continuer à défendre ses propriétés et ses privilèges. Je voudrais
m'adresser à la femme simple de notre terre, à la paysanne qui a cru en
nous, à l'ouvrière qui a travaillé dur et à la mère qui a toujours bien
soigné ses enfants. Je m'adresse aux fonctionnaires, à ceux qui depuis
des jours travaillent contre le coup d'État, contre ceux qui ne
défendent que les avantages d'une société capitaliste. Je m'adresse à
la jeunesse, à ceux qui ont chanté et ont transmis leur gaieté et leur
esprit de lutte. Je m'adresse aux Chiliens, ouvriers, paysans,
intellectuels, à tous ceux qui seront persécutés parce que dans notre
pays le fascisme est présent déjà depuis un moment. Les attentats
terroristes faisant sauter des ponts, coupant les voies ferrées,
détruisant les oléoducs et gazoducs, face au silence de ceux qui
avaient l'obligation d'intervenir. L'Histoire les jugera.

Ils vont sûrement faire taire radio Magallanes
et vous ne pourrez plus entendre le son métallique de ma voix
tranquille. Peu importe, vous continuerez à m'écouter, je serai
toujours près de vous, vous aurez au moins le souvenir d'un homme digne
qui fut loyal avec la patrie. Le Peuple doit se défendre et non pas se
sacrifier, il ne doit pas se laisser exterminer et se laisser humilier.
Travailleurs : j'ai confiance dans le Chili et dans son destin.
D'autres hommes espèrent plutôt le moment gris et amer où la trahison
s'imposerait. Allez de l'avant sachant que bientôt s'ouvriront de
grandes avenues où passera l'homme libre pour construire une société
meilleure.

Vive le Chili, vive le Peuple, vive les
travailleurs ! Ce sont mes dernières paroles, j'ai la certitude que le
sacrifice ne sera pas vain et qu'au moins surviendra une punition
morale pour la lâcheté et la trahison.


Salvador Allende Gossens