Vichy, De Gaulle, l’Etat et la Nation.

« Pourquoi voulez-vous que nous dissimulions l’émotion qui nous étreint tous, hommes et femmes, qui sommes ici, chez nous, dans Paris debout pour se libérer et qui a su le faire de ses mains. Non ! Nous ne dissimulerons pas cette émotion profonde et sacrée. Il y a là des minutes qui dépassent chacune de nos pauvres vies. Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle. »

Bonheurs et émotions me transportent dans la lecture du De Gaulle de Max Gallo. Je suis toujours sensible aux épreuves nationales et à la force qui peut émaner de notre nation, face aux tourments de l’histoire. Oui, les circonstances montrent bien ce que sont les hommes et agissent souvent comme des révélateurs. Mais les circonstances médiocres font jaillir en elles-mêmes beaucoup de médiocrité.

Je redécouvre les difficultés faîtes à De Gaulle par les Alliés.  Sa bataille pour assurer la place de la France dans le monde, s’appuie sur la volonté de reconnaissance internationale de la légitimité de la France Libre qu’il obtiendra dans l’épreuve. Il l’obtiendra par les combats victorieux des armées de la France combattante en Afrique puis en Europe, par sa capacité à représenter la nation, progressivement appuyée par le soutien obtenu auprès du peuple français et à rétablir l’Etat.

C’est là un exemple de la différence de notion que recouvrent Etat et Nation. Il existe des Etats sans Nation, des Nations sans Etats, des Etats avec plusieurs nations co-existant. Avec Vichy, la nation française s’est trouvée privée d’un état représenantant et défendant la Nation à travers tout ce qu’elle incarne: les droits humains, l’égalité entre les hommes, le chemin vers les libertés et la démocratie et l’indépendance nationale.

Et c’est là un point fondamental. Vichy est une trahison de l’Etat face à la Nation. Une fiction assise sur un viol constitutionnel. Je ne partage pas la position chiraquienne sur le sujet.

On peut reconnaître que la police, la justice et l’appareil d’état se sont fourvoyés dans des fautes d’une gravité monstrueuse et qu’une partie de ce mécano s’est même vautrée dans la fange de la collaboration avec délectation. On peut même considérer que pour ces fautes et ces trahisons, l’Etat rétabli doive assurer la juste et nécessaire solidarité à l’égard des victimes et rechercher la condamnation des coupables.  Il ne doit pas non plus s’écarter du travail de mémoire rappelant aux générations à venir qu’en leur sein peut toujours jaillir trahison et ignominie. Que ce sont des crimes terribles qu’ont commis de nombreux français, armés des prérogatives d’un état fantoche. Qu’ils doivent être condamnés par l’Histoire. Mais évoquer « la dette imprescriptible de l’Etat  » me paraît nier les fondements même de la légitimité de la République rétablie. Et c’est en contradiction avec d’autres déclarations de Chirac sur les Justes qui incarnèrent selon lui : « l’honneur de la France, ses valeurs de justice, de tolérance et d’humanité. »

Si De Gaulle n’avait pas réussi à établir la légitimité du CNF puis du GPRF, la France aurait été un territoire considéré comme occupé par les administrations anglaises et américaines, à la merci de tout découpage, au mépris de toute vélleité de souvernaineté nationale. Roosvelt a même pensé à la création d’un Etat de Wallonie regroupant Belgique francophone, le nord de la France, le Luxembourg. Reconnaître la légitimité de De Gaulle, c’est reconnaître les actes de son autorité mise au service de la Nation qui acta de l’illégitimité de Vichy dans l’Ordonnance du 23 septembre 1941 portant création du Comité national français.




2 pensées sur «Vichy, De Gaulle, l’Etat et la Nation.»

  1. Bonjour,
    je ne suis pas complètement d’accord avec toi si je me place bien aujourd’hui en 2008… je suis d’accord sur ton analyse de l’action de De Gaulle, du fait que cela a permis de rétablir la République, de rester indépendant…
    Mais aujourd’hui, après plusieurs dizaines d’années, on en peut pas oublier tout ce qui s’est passé après… Quand un gouvernement français des années 70 compte en son sein un ancien préfet de Vichy, il y a quand même quelque chose de la « bête immonde » qui a perduré dans la République rétablie et légitime… Tous les députés qui ont voté les pleins pouvoirs à Pétain ne se sont pas évanouis dans la nature en 1945, de même que les fonctionnaires qui ont prêté serment et ont appliqué au quotidien la politique de Vichy… Je ne dis pas qu’il aurait fallu épurer d’un coup toute l’administration à la Libération, mais au-delà de l’analyse juridique et constitutionnelle que je partage avec toi, les êtres humains qui ont fait vivre Vichy, ont rendu concrète la collaboration, ont aussi participé à la France d’après la guerre et c’est quand même une responsabilité de la République française d’avoir toléré que ceux qui avait participé par exemple au recensement des juifs et à leur déportation continuent à représenter la République française comme hauts fonctionnaires ou membres d’un gouvernement…

  2. « Mais aujourd’hui, après plusieurs dizaines d’années, on en peut pas oublier tout ce qui s’est passé après… »

    Totalement d’accord.

    « Quand un gouvernement français des années 70 compte en son sein un ancien préfet de Vichy, il y a quand même quelque chose de la “bête immonde” qui a perduré dans la République rétablie et légitime… »

    Oui. Il y a là un problème grave qui relève de la responsabilité politique des dits gouvernement.

    « Tous les députés qui ont voté les pleins pouvoirs à Pétain ne se sont pas évanouis dans la nature en 1945,  »

    Vote anticonstitutionnel soit dit en passant.

    « de même que les fonctionnaires qui ont prêté serment et ont appliqué au quotidien la politique de Vichy Je ne dis pas qu’il aurait fallu épurer d’un coup toute l’administration à la Libération, »

    L’épuration et la possibilité de la réaliser ont été l’objet d’âpres échanges entre De Gaulle, la souhaitant dans le cadre juridique du futur GPRF et les alliés qui discutaient, eux, avec Vichy jusqu’en 43.

    « mais au-delà de l’analyse juridique et constitutionnelle que je partage avec toi »

    Merci ^^

    « les êtres humains qui ont fait vivre Vichy, ont rendu concrète la collaboration, ont aussi participé à la France d’après la guerre et c’est quand même une responsabilité de la République française d’avoir toléré que ceux qui avait participé par exemple au recensement des juifs et à leur déportation continuent à représenter la République française comme hauts fonctionnaires ou membres d’un gouvernement… »

    C’est donc autre chose. Même si la plupart des dirigeants de Vichy ont été évincés par l’épuration, la responsabilité de l’épuration et de la non-épuration relève effectivement pour le coup de la République. Les mea-culpa sur ce dernier aspect ne me choqueraient donc pas et je suis d’accord avec toi là dessus.

    Mais pas sur l’idée que les gens agissant au nom de « l’état français » vichystes le faisaient, consciemment ou pas, réellement au nom de la France. Et c’est celà qui est l’objet des regrets exprimés par Chirac.

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